Toute locution latine qu’elle soit, « Modus vivendi* » pourrait signer en Maud Bardil la douce philosophie de cette épicurienne autant fascinée par la musique des mots que les accords pluriels du Vin. Officiant au restaurant Côté Seine de Saint-Denis, cette émérite sommelière aime à servir la gastronomie réunionnaise comme à sublimer d’autres plénitudes plus insolites.
Née à Sainte-Suzanne, Maud grandit subjuguée par toutes ces sensoriels éprouvées. Enfant elle aime parcourir les marchés, cueillant l’image de ces étals colorés et les fragrances enchanteresses des aromates péi. Dans la cuisine familiale elle se plait à projeter d’improbables menus s’octroyant la liberté d’inédits par de subtiles et audacieuses rencontres des saveurs. C’est une scolarité traditionnelle qui la mène au lycée. Ses appétences artistiques et ses agitations créatives qui la caractérisent déjà lui ouvrent l’évidence des Arts Plastiques. L’extravagance de quelques semelles peinturlurées sur un toit de l’établissement scolaire pour son sujet d’examen lui vaudra certes un 20/20, la mènera aussi vers la porte de sortie. Un mal pour un bien : A 16 ans, la jeune adulescente est propulsée dans la vie active avec l’enthousiasme indiciblement précipité de goûter à de nouvelles sensibilités.
« Je suis partie papillonner » cherchant ici et là l’opportunité d’assouvir enfin cette curiosité pour le magique des papilles. Le « Clos Saint Jacques** » devient son mémorable port d’attache. Plus que d’y découvrir le métier de serveuse c’est toute la noblesse d’un accueil « chez soi » dont se souvient encore cette autodidacte obstinée. Certes la cuisine de Jacques Souirys se conjugue d’exceptionnels méditerranéens, le cadre se joue aussi de tendres détails invitant le visiteurs à se sentir chez lui. Les murs se parent de cigales en porcelaine rapportées d’escapades provençales, les nappes en tissus exhibent leur éclatante blancheur, les cartes sont écrites à la main et le service se décline en discrètes attentions ou précieux raffinements générant l’émotion particulière d’un certain art de vivre. « C’est merveilleux de recevoir chez soi ». 2010 marquera le virage d’une nouvelle expérience professionnelle plus axée sur la vente, pour autant gravitant toujours autour des suavités gustatives et olfactives. Comme on parle de « nez » dans l’univers gracile des Parfums, peut être suggérée cette même vocation dans le domaine singulier de la torréfaction. Portée par ses prédispositions et son audacieuse inspiration, Maud s’improvise dans le mariage des cafés, découvre la variété de produits, apprend l’appréciation des formes, le possible d’une autre créativité dans le rythme de contraintes horaires plus traditionnelles.
Apprécié par Napoléon
La restauration lui revient en nostalgie : « on ne vend pas de la matière mais un bon moment ». La tentation de créer son propre établissement la traverse un temps bien vite entravée par l’action des gilets jaunes et les affres d’une pandémie ankylosante. Le retour au possible normal se traduira par une embauche au Food Art’s éveillant plus concrètement les arcanes de la sommellerie. C’est à la cave du Grand Marché que s’épanouira ce talent naissant. Confortée par son diplôme obtenu à La Petite Ecole du Vin de Cyrille Camilli, Maud se grise d’une vinothèque incroyablement fournie. Clément Perini, éminence des vins et propriétaire des lieux, l’accompagne dans cette nouvelle croisière des sens laissant carte blanche à l’expression de ses intuitions créatives. Plus que l’analyse substantielle de chaque nectar soigneusement sélectionné, c’est toute la genèse devenue légende qu’elle aime à savourer : « Je suis très attachée à l’histoire, c’est notre ancrage, ce qui nous porte vers demain. Certes, il peut être apprécié de peindre le Klein Constancia, ce prestigieux flacon d’Afrique du Sud, dévoilant une superbe robe jaune or, un bouquet particulièrement complexe de notes d’agrumes et de gingembre, brio d’onctuosité et d’acidité rafraîchissante, il est tout autant enchanteur d’apprendre que ce superbe monocépage de muscat de Frontignan était fort apprécié par Napoléon et qu’il s’en faisait livrer en son exil. ». l’expérience sera prétexte à démonter certaines croyances un temps de trop véhiculées par l’infondé comme d’imaginer l’impossible alliance d’un blanc du Languedoc avec un magret de canard.
C’est très naturellement que cette croisière sensorielle aujourd’hui se poursuit au cœur de Côté Seine. Ce haut lieu de la gastronomie réunionnaise, écrin idéal d’un authentique alliant arts de la table, noblesse des mets et précieux nectars ne pouvait que mieux servir les aspirations d’un potentiel hédoniste. La qualité du service se décline en un ballet d’attentions discrètes et bienveillantes. Maud ose le Meursault sur un gravlax de truite Langevin pour juste « casser » la fraîcheur et la salinité, prolonge la surprise sur une légine légèrement fumée garnie de légumes sculptés pour juste en exprimer le charnu avant de vous proposer un porto sur un mille-feuilles aux fraises à moins que vous ne préfèreriez le whisky tourbé pour confondre un entremet chocolaté. Préférence irait au Madiran du domaine Montus, cépage robuste au tanin soyeux à longue saveur en bouche que pourrait accompagner un vol au vent d’escargots avec crémeux de cresson et cette bavette à la compotée : « Ce sont les plats qui subliment les vins comme il est faut aussi savoir bousculer les dictats en imaginant l’assiette à partir d’un cru et non en réciproque ». Questionnée sur la place de femme dans le monde de la sommellerie, l’enthousiaste passionnée avoue cette nécessité d’assoir une légitimité encore trop balbutiante à ses yeux. La voici en évasion d’une soirée grillade de bœuf charolais Simmental accompagnée d’un côte de Roussillon au corps très équilibré ou d’un simple plateau de charcuterie autour d’une amitié chavirée par un vin d’Afrique du Sud, pour autant n’occultant pas de projeter à moyenne échéance le concept de « La table de Maud » : « Aller de fleur en fleur jusqu’à mon propre verger, inventer ici et là en mode itinérant le vertige évanescent d’une émulsion créative, rencontre sereine d’un Jazz/Vin ou sage évidence d’une complicité Poésie/Vin. Il y a un Vin pour chaque moment et chaque instant crée un sensoriel ». A ces heures Victor Hugo écrivait : « La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres. », juste prémonition d’une destinée devenue conscience.
* : expression latine signifiant littéralement « manière de vivre ».
** : ancien restaurant de la ruelle Edouard à Saint Denis
Texte : Nadine Gracy
Photos : Pierre Marchal