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Flora Van Damme, Étudiante en architecture d’intérieur

« Pour qu’une œuvre d’architecture soit belle, il faut que tous les éléments possèdent une justesse de situation, de dimensions, de formes et de couleurs » : c’est en ces quelques mots qu’Antoni Gaudi* décrivait l’essence même d’un art devenu passion, précepte qui pourrait illustrer la démarche de Flora, jeune réunionnaise étudiante en Architecture d’Intérieur dans une école lyonnaise. L’architecture est à l’Art ce que la décoration pourrait être aux intérieurs se jouant d’un équilibre entre le cartésien et l’irrationnel spontané de la créativité. Partage d’une destinée.

TT : Flora, quelle définition d’un architecte d’intérieur ?
FVD : « Beaucoup confondent métiers d’architecte, de décorateur et d’architecte d’intérieur. Le premier est un professionnel de la conception, de la transformation ou de la réhabilitation de bâtiments, le second agence des espaces de manière pratique, harmonieuse alors que le dernier conçoit et aménage des intérieurs fonctionnels, esthétiques et confortables en jouant avec les volumes, la lumière, le mobilier et les matériaux, tout en tenant compte de dispositions techniques. Dans les trois cas bien évidemment, les contraintes s’étendent aux éléments budgétaires et cahiers de charges établis par le client ».

TT : comment devient-on architecte d’intérieur ?
FVD : « On ne le devient pas, je crois qu’on l’est par prédisposition et propension. J’ai grandi bercée par l’artistique entre une grand-mère peintre et ma mère toujours dans la recherche de créativités nouvelles. Très jeune j’ai adoré revisiter la décoration et l’agencement de ma chambre puis de mon studio : déplacer des pièces, changer une affiche, transformer en subtilité pour métamorphoser l’ambiance. En 4ème l’option d’un stage chez un architecte d’intérieur n’a pas surpris, je dirais mieux, comme un révélateur, l’évidence est venue conforter mon appétence pour cet art ».

TT : Qu’apprend-on alors en formation s’il s’agit déjà de compétences innées ?
FVD : « Le « goût » ne s’apprend pas en formation. Ses caractères irrationnels et relatifs ne permettent pas d’en faire un concept défini. Toute appréciation esthétique se fonde sur les sensibilités subjectives et arbitraires de chacun. En revanche ce sont des connaissances en matériaux, en colorimétrie, en respect des normes techniques, en design, histoire des styles, conception de planches, modélisation ou coordination de chantier que nous apporte le parcours d’apprentissage sur 5 années alternant théories et pratiques. C’est aussi l’audace et ses improbables que nous enseigne ce cursus comme oser associer le classique et le contemporain ou provoquer une rencontre entre le graphique et le traditionnel. Autant le client va apporter sa touche dans l’expression de ses préférences que l’architecte pourra aussi proposer son empreinte. »

TT : En parlant d’ »empreinte », quelle est votre « signature »?
FVD : « J’aime questionner avec le décalage, surprendre d’un inattendu, d’une note de peps comme glisser un fauteuil rouge dans un espace initialement sobre. Je suis toujours en recherche de différenciants, curieuse d’explorer des originalités. Le fait que je sois réunionnaise est un atout en soi. J’ai pu surprendre dans l’hexagone en projetant des intérieurs exotiques. Rien de plus interpelant qu’un salon imaginé comme une varangue tant dans le choix du mobilier que celui des matériaux utilisés comme le rotin ou le bois exotique. Rien ne me semble irraisonnable ou concevable tant que l’harmonie et le juste équilibre transparaissent. La seule limite que je m’impose est de veiller à la séparation des parties « jour » et « nuit » de l’habitat. Bien entendu, cette particularité n’engage que moi. »

TT : Vous avez des modèles ?
FVD : « Je suis très admirative du travail de Claude Cartier, une architecte d’intérieur installée à Lyon et dont la renommée est internationale tant elle marque par sa singularité. Elle puise ses inspirations dans le design italien, prône le retour à l’essentiel en privilégiant la qualité et la pérennité au détriment de la grandiloquence. Elle sait marier l’élégance et le pétillant. Au-delà d’une vision contemplative et introspective de l’ameublement c’est une approche humaine et sa quête des émotions qui se dégagent dans son style. »

TT : Quelle difficulté aujourd’hui pour un jeune qui souhaiterait emprunter ce chemin ?
FVD : « La passion peut suffire à motiver. Il est essentiel de mesurer que le métier d’architecte d’intérieur ne se limite pas juste à la décoration des murs. L’expertise requière aussi de maitriser les contraintes comme celles des canalisations, des gaines techniques, des murs porteurs ou des enveloppes budgétaires, être en mesure de projeter scientifiquement les scenari en étant le plus minutieux possible, pouvoir interpréter les attentes clients, intégrer les fantaisies, savoir gérer le temps , argumenter sur les impossibles, inviter la surprise tout en faisant preuve d’une discrète conviction, de patience et d’originalités. »

TT : Vos fierté/vibration/rêve ?
FVD : « Ma principale satisfaction est d’avoir choisi une voie qui me correspond. Ma première année a eu pour fil conducteur la livraison d’un projet de rénovation d’un appartement de 120 m2 pour un couple et leur bébé avec l’exigence de ne pas déplacer la salle de bain. 4 étapes étaient imposées : Etude Préparatoire (EP), Avant-Projet Sommaire (APS), Avant-Projet Définitif (APD), dernière phase (PRO). Le fait d’avoir pu accompagner ce cas de bout en bout a permis que je m’approprie tous les fondamentaux en mode très rudimentaire. Les plans ont été conçus manuellement pour mieux intégrer l’indispensable précision des relevés de côtes, l’exactitude des transpositions, le moodboard conçu à partir de photos de magazines…Si je dois ma facilité à cette patience qui me définit c’est aussi ma créativité innovante qui a porté ses fruits. J’ai proposé l’insolite d’un aménagement interprété par un ensemble de voûtes, de volumes dédiés et de structures en verrières. Je suis enthousiaste à l’idée de poursuivre encore 4 années d’un bel apprentissage que je décline instinctivement dans mon propre intérieur, à mon image, tout en cocooning et pétillance. Mon rêve serait un jour de créer ma propre agence, à plus proche échéance de découvrir Milan, capitale mondiale du design pour nourrir mon imagination et m’ouvrir d’autres promesses. »

TT : Belle restitution que cet enthousiasme pour illustrer Stendhal cité par Gustave Thibon dans L’équilibre et l’harmonie (1976) : “La vocation, c’est avoir pour métier sa passion ». De l’importance donc pour gagner épanouissement d’accompagner son propre intérieur.

* : Artiste architecte espagnol – 1852/1926

Interview : Nadine Gracy
Photo : Pierre Marchal

Nadine Gracy

Un temps Directrice Marketing dans un groupe international, Nadine Gracy officie depuis deux ans dans la composition journalistique de magazines comme Teck-Tech et NUDE. Ses portraits, papiers d’ambiances ou publireportages se déclinent en voyages d’âmes et belles rencontres. Passionnée des mots, curieuse du Monde et particulièrement attentive à ses secrets comme à ses symphonies, c’est tout naturellement qu’elle s’est orientée vers l’écriture autant canal d’expression de ses sensibilités qu’outil lui permettant d’assouvir une certaine appétence pour la contemplation ou l’analyse de l’autre.

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