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Angélique marquise des Sens

Comme un signe annonciateur, l’atmosphère des lieux laisse augurer d’une cuisine haute en couleurs, audacieusement insolite dans le mariage de ses saveurs et particulièrement artistique dans la présentation de ses assiettes. Des coloris safran inspiré du Maroc au vert olive des fresques végétales méditerranéennes, des teintes bois et verts profonds de la nature réunionnaise aux notes bleu lagon d’un ruisselet se faufilant entre pierres et deck, de la patine polie d’un comptoir en tamarin et résine bleu cobalt au beige naturel d’une suspension en osier de rotin, tout ici n’est qu’éveil des sens et merveille des papilles.

Angélique est à l’art culinaire ce que la grâce est à la danse, un tourbillon de saveurs, d’audaces et d’authenticités que seule la passion mêlée à l’exigence d’une excellence sait expliquer. Une certaine réserve dans le regard, la posture introspectée comme pour mieux se protéger, notre chef cuisine nous accueille dans son restaurant, enceinte aux consonnances méditerranéennes accrochée en bordure d’une rue de l’Ermitage dans l’ouest réunionnais. Rita et Nordreiz les deux chiens fidèles recueillis par notre hôte somnolent tout en confiance sur la fraicheur du sol carrelé.

C’est ainsi que débute notre échange. Née à Pontivy, cette bretonne talentueuse grandit au creux d’une famille de cultivateurs. Elle y découvre la rudesse d’un métier et le courage presqu’héroïque d’un dévouement à la terre. Elle y apprend surtout toutes ces valeurs venues servir le mérite, l’indépendance et l’éducation. Les parents sont aux champs, la grand-mère est aux fourneaux cuisinant de grandes marmites pour de longues tablées venues aider aux moissons. Angie se rappelle les effluves du pot au feu et les senteurs abstruses de la soupe de légumes au pain sec, ces plats qu’on déteste petit et qu’on savoure plus grand. Elle revit aussi ces tendres moments de complicités à équeuter soigneusement les haricots verts. Rien d’étonnant à ce que notre cheffe emprunte un cursus scolaire en hôtellerie. L’apprentissage se fait aussi et surtout en salle, dans les quelques établissements bretons qui l’accueillent. Elle y découvre le service, la plonge et d’autres postes encore, y confirme surtout sa détermination à poursuivre dans cette voie. L’incidence d’un reportage visionné à la télévision la décide à tenter sa chance en Suisse. Son besoin viscéral d’indépendance, sa soif de découvrir et l’attrait d’un pays renommé pour son niveau de prestations la persuadent d’un challenge à relever. Plus qu’un défi, il s’agit aussi de compenser la frustration paternelle à n’avoir pu choisir sa voie au détriment d’une contrainte à reprendre la ferme familiale.

« Une âme de pionnière »
Sac à dos et carte de séjour en poche Angélique débarque en terre helvétique, tâtonnant quelques petits mois en certains établissements de passage avant de se poser enfin au Golf de Vuissens auprès d’un chef Meilleur Ouvrier de France charcutier traiteur. A ses côtés elle découvre toute la passion d’une cuisine réinventée se souvenant en particulier de l’originalité d’un pâté en croute aux graines de pistache. En manque de températures plus clémentes et propulsée par une quête insatiable d’apprendre et d’expérimenter, la jeune bretonne s’envole pour La Réunion le temps de découvrir les coulisses des cuisines de la Villa des Lagons devenue depuis le Lux. 6 mois plus tard, notre hôte rejoint la Suisse pour endosser à 23 ans le poste de Directrice de Restauration du Golf. Animée par le souhait de mener sa propre affaire, elle suit une formation d’acquisition de patente, étudiant le jour et travaillant la nuit dans un casino. Angélique croise un temps la route culinaire d’un Sri Lankais dont l’humilité, la persévérance et le talent lui inspirent encore modèle et respect.

« Un premier restaurant à 27 ans »
Forte de ses nouvelles compétences acquises, Angélique reprend les rênes de « La clef des champs » à Donneloye. Elle improvise sa première carte sur la base de valeurs sûres : des gambas, des cuisses de grenouille toujours proposées dans son restaurant réunionnais, un filet de perche…découvre toutes les difficultés et la délicatesse liées à la gestion administrative de l’établissement, son image, la transition d’un statut de salariée à celui de dirigeant d’entreprise. Son plaisir au-delà reste de « travailler » les matières nobles, celles du terroir se faisant écho des appétences locales. 5 années aux manettes de ce restaurant contribueront au mûrissement d’un tempérament déjà bien assuré. L’envie d’un inédit bouscule le confort des acquis, Angie parcoure le monde, découvre New York, le Mexique, le Portugal, Prague, l’Angleterre, le Brésil pour se nourrir de nouvelles saveurs, s’inspirer d’audaces culinaires et s’ouvrir de nouveaux horizons. Toujours aux limites de l’inconscient et du réfléchi, de l’adrénaline et du risque mesuré, en 2017 notre cheffe achète à la bougie le « Jardin d’Alcazar » anciennement « Raisin de mer », enseigne repérée sur l’île de La Réunion lors de sa première venue. Elle découvre l’ampleur des travaux de réfection, s’investit progressivement dans la rénovation du restaurant rebaptisé « Jardin des sens » pour une ouverture discrète en février 2018. Spontanément elle propose une gamme de caris locaux privilégiant rapidement une cuisine généreuse revisitant avec simplicité l’éventail d’une richesse de produits locaux. Angélique sait projeter ses créations culinaires, tenter sans tester. Sa préférence va à la traditionnelle blanquette de veau mais elle sait aussi oser le fruit de la passion dans la vinaigrette, la granny smith et le yuzu dans le tartare de thon, la dakatine en accompagnement des légumes du marché. Elle mitonne au feu de bois des joues de porc à la mode bourguignonne pendant plus de trois heures sous le couvercle alu d’une marmite la ramenant aux doux souvenirs de son enfance. Plus qu’une fierté, son plus grand plaisir reste et demeure la satisfaction du client. Elle admire Hélène Darroze, chef cuisinière étoilée, pour son talent certes mais également sa facilité à gérer de front toutes ses vies, se brûle de chaque nouvelle rencontre. Dans l’esquisse d’un sourire, Angélique enfin se confie sur l’espoir secret de pouvoir s’offrir un peu de recul en ce monde d’incertitudes, regrette de ne pouvoir disposer d’un peu plus de temps à elle… Marquise des sens accomplie, notre hôte porte haut les valeurs et la passion qui l’animent, dessine sa trajectoire sans s’interdire des impossibles savourant déjà de vous accueillir en son jardin… comme chez vous.

Texte Nadine Gracy
Photos Pierre Marchal

Pierre Marchal

Après avoir exercé onze ans comme journaliste au Quotidien de la Réunion, fondateur de l’agence photographique MozaikImages regroupant 95 auteurs dans l’océan Indien mais aussi au Japon et en Australie, Pierre Marchal a opté en 2005 pour une activité free-lance lui permettant de se consacrer à son sujet de prédilection : l’être humain. Anakaopress est née. Aujourd’hui à la tête du magazine de sport Gadiamb et de Paradise Island, Grenadine est un nouveau challenge. Tél : 0692 65 79 95 Mail ; marchal@anakaopress.com

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