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JOFFRANE DAILLY, CHEF AU DIANA DEA LODGE « Sortir de sa zone de confort »

Joffrane Dailly est à 36 ans l’un des chefs les plus renommés à La Réunion. A la tête de la brigade du Diana Déa lodge de Sainte-Anne, il a su apporter une touche très personnelle à sa cuisine gastronomique faisant de cet établissement une référence. Rencontre avec un magicien des saveurs.

CUISTOT

Teck-Tech : La cuisine pour vous c’est une affaire de famille ?
Joffrane Dailly : Oui. Mon père et mon frère sont cuisiniers à La Réunion. J’avais opté pour une autre voie en passant mon CAP pâtisserie à Plateau Caillou. J’ai travaillé par la suite dans plusieurs établissements pendant plus d’un an, à l’hôtel des Mascareignes, au Lodge Tamarin puis au Bellepierre. J’avais envie de bouger, de voyager, d’explorer d’autres univers gastronomiques. Besoin de me former encore plus et tenter l’expérience en métropole. J’ai donc rejoint le Mas des Vignes à Bédouin au pied du Mont Ventoux. Une étoile Michelin. C’est là, avec le chef Yann de Coëtlogon que j’ai appris la cuisine et délaissé peu à peu la pâtisserie. C’est grâce à lui que j’ai mis le pied à l’étrier. Pour me perfectionner en cuisine, cela a été une belle opportunité.

Cela n’a pas dû être facile ?
Effectivement. Loin de sa famille, se remettre en question n’est pas chose aisée. Le travail en brigade dans un établissement étoilé vous apprend la rigueur, à être appliqué et méticuleux, perfectionniste. C’est là que j’ai appris à faire une quenelle* avec une seule cuillère. Pas facile. A dénoyauter les cerises aussi. Un boulot de fou. Cela participe à la formation de base. J’ai beaucoup appris. C’était très formateur.

2010, c’est le retour au pays ?
Oui. J’ai enchainé les expériences, deux années au Lodge tamarin, puis la Villa Angélique, le Côté Seine et enfin l’hôtel Saint-Michel à Saint-Gilles les Bains où là j’ai réellement pu m’exprimer et exercer ma créativité. Aujourd’hui, cela fait trois que j’ai intégré le Diana Déa Lodge.

L’occasion de mettre en pratique toutes vos connaissances acquises pendant toutes ces années ?
Oui. En cuisine il n’y a pas de limite au niveau créativité. Je suis toujours à la recherche de nouvelles techniques, de nouvelles saveurs. Je suis dans une nouvelle phase de mon métier, dans une approche plus humaine. Plus dans la transmission.

La télévision a beaucoup contribué à la démocratisation de la cuisine ?
Assurément. Les nombreuses émissions ont permis de mettre en lumière ce métier et de créer des vocations. Mais, revers de la médaille, c’est toujours aussi difficile de recruter. C’est un métier exigeant, où il faut travailler le week-end.

Qu’est ce qui vous motive encore aujourd’hui ?
C’est sans nul doute le retour des clients satisfaits, heureux de vivre une expérience culinaire. Je reste ouvert et je sais me remettre en question. Il faut savoir sortir de sa zone de confort. La cuisine est un moment de partage. C’est avant tout transmettre des émotions. Tout est dans le petit détail. Ici au Diana, ce qui me plaît, c’est d’être dans un hôtel à taille humaine où les relations sont privilégiées.

Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Je veux faire une cuisine intuitive en fonction des ingrédients, créative et audacieuse. Ma chance est d’avoir des produits frais issus du jardin de l’hôtel sur deux hectares. J’aime sortir des lignes et mon cursus scolaire en atteste. J’aime surprendre. Comme cette émulsion d’eau de mer avec de la légine sous une écume. La réaction des clients était incroyable. J’aime proposer un voyage des papilles à travers des saveurs salées sucrées. Mon influence de pâtissier sans doute et de la cuisine réunionnaise. Il importe d’avoir de bons produits qui apportent de l’acidité pour une plus grande explosion en bouche. C’est ce mariage que je recherche. Tant dans les saveurs que dans le visuel. Après tout est technique et expérimentation. Comme ce thon mi-cuit au sirop de tamarin que je cuisine comme une pièce de viande. Mais cela reste un secret. C’est mon côté artiste.

Quel est votre plat préféré de votre enfance ?
C’est certainement le cari poulet de ma maman qu’elle faisait cuire au feu de bois. Un régal qui habite mes souvenirs de marmaille.

Des grains dans le rougail saucisses, c’est sacrilège ?
O que oui, on appelle cela du cassoulet. Jamais de grains dans le rougail saucisses.

Quel est votre plat préféré ? Plat créole et plat métro ?
Le civet zourite façon traditionnelle. Sinon le pigeon de La Réunion que je cuisine en suprême, juste saisi, avec une cuisse confite et du samoussa d’abattis avec un soupçon de jus de café bourbon pointu.

Que préférez-vous travailler ? Le dessert, le poisson ou la viande ?
Le poisson, notamment la légine et le thon qui sont toujours délicat en termes de cuisson. Cela demande beaucoup d’attention et de délicatesse.

Quels sont les ingrédients que vous aimez utiliser ?
Les épices en général, le massalé pour mon origine indienne. Lers baies roses, la vanille de Bellevue à Saint-Louis (médaille d’or 2022 au salon de l’agriculture), le café, le combava. Et tant d’autres. La Réunion est riche de ses produits d’exception.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Ici, j’ai la chance d’avoir tout sous la main avec un jardinier incroyable qui produit des légumes du terroir. Les épices sont aussi ma source d’inspiration.

Quel est le restaurant où vous avez le mieux mangé ?
En métropole, c’est « Au pied de cochon ». Une brasserie à l’ambiance incroyable, très sympa sur le plan gustatif. Une véritable institution. A La Réunion, il y a vraiment de belles tables comme La Fabrique, Pépé Gentil, l’Atelier de Ben, le Blue Margouillat et tant d’autres.

Comment voyez-vous l’évolution de la cuisine réunionnaise ?
On compte aujourd’hui de nombreux chefs réunionnais aux parcours intéressants. Des chefs très talentueux, qui ont bougé comme moi et qui sont sortis des sentiers battus. Partir pour mieux revenir. Les mentalités ont changé. Il y a 15 ans, on mangeait de la viande trop cuite. Par habitude, par réflexe. Pour raison sanitaire à l’époque de nos grands-parents. Le goût a évolué. La cuisine a évolué de manière positive.

La malbouffe, le mal du siècle, croyez-vous que l’on devrait éduquer le goût dès le plus jeune âge à la cantine ?
On a sacrifié toute une génération sur l’autel de la malbouffe. Il est encore temps d’agir. C’est un vrai travail d’éducation au niveau du palais. Alors oui, l’école peut en ce sens y contribuer. Notamment lors de la semaine du goût où les chefs ont un rôle à jouer.

Vous êtes plutôt salade diététique ou pain bouchon mayonnaise ?
J’adore le pain américain poulet gratiné, mayonnaise, ketchup, piment. C’est mon péché mignon mais côté diététique ce n’est pas l’idéal. Il m’arrive de cuisiner pour ma femme et mes enfants des choses simples, des choses de tous les jours mais avec toujours en ayant à l’esprit de les éduquer au niveau des saveurs. Ils aiment cuisiner avec moi.

Que pensez-vous de la nouvelle cuisine gastronomique ?
Elle a évolué. C’est l’avenir. Tout en gardant nos traditions culinaires qui demeurent notre héritage. Il faut savoir d’où l’on vient.

Quelle sont vos références gastronomiques ?
Anne Sophie Pic, cheffe de la Maison Pic à Valence. A 52 ans, elle demeure la cheffe la plus étoilée. Kelly Rangama aussi, cheffe réunionnaise installée à Paris qui ouvre la voie à une nouvelle cuisine sans se départir de la tradition réunionnaise. C’est l’âme créole.

Le mot de la fin ?
Savoir se donner les moyens pour réussir. Ne jamais rien lâcher.

*Technique qui consiste à faire une boule de glace à l’aide d’une seule cuillère au lieu de deux.

Pierre Marchal

Après avoir exercé onze ans comme journaliste au Quotidien de la Réunion, fondateur de l’agence photographique MozaikImages regroupant 95 auteurs dans l’océan Indien mais aussi au Japon et en Australie, Pierre Marchal a opté en 2005 pour une activité free-lance lui permettant de se consacrer à son sujet de prédilection : l’être humain. Anakaopress est née. Aujourd’hui à la tête du magazine de sport Gadiamb et de Paradise Island, Grenadine est un nouveau challenge. Tél : 0692 65 79 95 Mail ; marchal@anakaopress.com

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