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Bernard LEVENEUR [ Ecrivain « Retrouver l’âme créole »

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Pierre Marchal
Pierre Marchal
Après avoir exercé onze ans comme journaliste au Quotidien de la Réunion, fondateur de l’agence photographique MozaikImages regroupant 95 auteurs dans l’océan Indien mais aussi au Japon et en Australie, Pierre Marchal a opté en 2005 pour une activité free-lance lui permettant de se consacrer à son sujet de prédilection : l’être humain. Anakaopress est née. Aujourd’hui à la tête du magazine de sport Gadiamb, de Teck-Tech et de Nude, la création de la société d'édition Zebra Editing est un nouveau challenge. Tél : 0692 65 79 95 Mail : marchal@anakaopress.com

Directeur du Musée Léon Dierx depuis 2008, Bernard Leveneur a toujours consacré ses recherches à l’architecture de son île, aux arts décoratifs et au mobilier créole, à l’histoire de la photographie ainsi qu’à l’histoire de l’art et des artistes à La Réunion. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, il a fait du patrimoine réunionnais un combat. Interview.

LEVENEUR Bernard

Teck-Tech : Vous êtes né à Saint-Denis, une ville à laquelle vous êtes très attaché. D’où vous vient cette attirance pour la capitale ?
Bernard Leveneur : Mes parents sont originaires de l’Entre-Deux, petit village que j’affectionne particulièrement. Mais ma ville de cœur reste sans conteste Saint-Denis, ville chargée d’histoire. Avec un vrai patrimoine architectural, un héritage certain. Cela fait écho avec mes recherches. C’est pour moi la plus belle ville de La Réunion. Ma ville natale, celle où je vis. Saint-Denis est une ville admirable, au vrai sens du terme, une cité méconnue et méprisée, mal valorisée. On baigne dans une ville chargée d’Histoire. Je reste un inconditionnel et un défenseur du patrimoine réunionnais. Lors de ma licence d’histoire, j’ai eu comme professeurs Sudel Fuma et Claude Wanquet qui m’ont initié à l’amour du patrimoine. Cela m’a permis de jeter les bases pour mes travaux de recherche et m’a donné l’occasion de participer à la conception du premier Stella Matutina.

Après quoi, vous avez repris des études à Paris ?
Oui effectivement. A l’âge de 25 ans, en 1991, j’ai intégré l’école du Louvre pendant six ans pour décrocher mon diplôme en Histoire de l’Art, ce qui m’a permis d’acquérir cette mémoire visuelle bien utile aujourd’hui. De nos jours, avec internet, les téléphones portables, les tablettes, les gens ne savent plus regarder et apprécier les œuvres. Cela a été décisif dans ma fonction. Je me suis forgé une vraie culture, essentielle. C’est aussi grâce à cela que j’ai été chargé de mission sur le projet du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage.

Vous enchainez les postes par la suite ?
Oui. J’ai été adjoint au directeur au MADOI de Saint-Louis de 1998 à 2000, avant de passer en 2001 le concours d’attaché de conservation du patrimoine. De 2001 à 2006, j’ai travaillé à la direction de la Culture au Département puis de 2006 à 2008 à la MCUR (Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise). Depuis 2008, je suis à la direction du Musée Léon Dierx en tant que Conservateur où je manage une formidable équipe de 20 personnes. Un travail qui me permet de gérer une collection d’œuvres d’art uniques, d’organiser des expositions temporaires. Toutes ces expériences et ce parcours professionnel ont contribué à faire l’homme que je suis aujourd’hui.

Trouvez-vous encore du temps pour mener à bien vos travaux de recherche et votre passion de l’écriture ?
Je suis un boulimique. Un passionné. C’est vrai que mon travail d’auteur est chronophage mais ma passion pour l’Histoire avec un grand H, mon amour de l’art et du patrimoine m’ont amené à travailler sur l’architecture coloniale, la Rue de Paris, le Barachois. J’ai accumulé une grande quantité d’archives, d’informations. C’est le photographe Serge Gélabert à qui je dois beaucoup qui m’a mis le pied à l’étrier. On a collaboré sur son ouvrage « Reflets d’Autrefois » en 1999 pour enchainer l’année suivante avec le livre « « Un passé retrouvé ». Une grande aventure éditoriale.
La deuxième personne avec laquelle j’ai collaboré est Fabienne Jonca, éditrice, écrivaine et journaliste de talent avec sa maison d’édition Quatre épices.

Le patrimoine architectural réunionnais est-il en danger ? En fait on assez pour le protéger ?
On n’en fait jamais assez. C’est sûr. Quand je vois ce qu’il se passe à l’Ile Maurice, et dans la zone, le fait d’être un département français, avec nos lois sur la protection des monuments historiques par les Bâtiments de France, beaucoup de biens ont été sauvés. Mais il reste tant à faire. Au regard de tous ces efforts réalisés sur Saint-Denis, Hellbourg, l’Entre-Deux et Saint-Paul, on a perdu notre unité et délaissé trop souvent les Hauts de l’île. Les questions d’héritage et d’indivisions ont fortement impacté certaines demeures, des cases créoles pas toujours classées mais d’un grand intérêt architectural dans les écarts. Nous avons perdu un peu de notre identité réunionnaise.

C’est-à-dire ? Vous pouvez préciser ?
Il y a un réel danger. On fabrique des ersatz, du néo-réunionnais avec des éléments d’architecture tropicale inspirés des Antilles et d’Afrique. C’est le danger de l’impact touristique et de la vision qu’il engendre sur notre architecture créole. L’inclusion des lieux patrimoniaux dans une politique touristique depuis les années 80 a généré une perte d’authenticité faussant nos repères historiques. Les maisons colorées d’Hellbourg ne sont pas un héritage réunionnais mais correspondent à une vision touristique, une interprétation de notre héritage. Prenez l’exemple de Cilaos aujourd’hui dénaturé. A l’origine les maisons étaient blanches. Pas de toutes les couleurs. Cela plaît et cela peut être joliment fait. Mais à mon sens le tourisme aura eu raison de l’intérêt architectural. Cilaos a perdu un peu de son âme. La merchandisation de notre patrimoine ne doit pas être sacrifié sur l’autel du rendement touristique à outrance. C’est mon regard de cinquantenaire sur l’évolution architecturale de mon île.

C’est un regard un peu dur ?
La Réunion est née dans les années 1980-1990. Car après la départementalisation en 1946, beaucoup de choses ont disparu avec la création des zones industrielles, les constructions des hypermarchés qui ont opéré un changement de mode de vie. Attention, je ne suis pas de ceux qui proclament que « c’était mieux avant ». On a inventé une nouvelle créolité. C’est là toute l’ambiguïté. Il nous reste encore un très beau patrimoine. Il y a des poches avec des labels touristiques qui s’appuient sur une valorisation à travers les villages des hauts. On est en train de perdre un peu plus notre âme créole. Je ne sais pas ce qu’il faudrait faire. On ne pourra pas revenir en arrière. Il faut toujours travailler sur la restauration des monuments historiques. Valoriser encore plus. Sensibiliser, former, faire de la médiation. On s’est un peu endormi sur nos acquis, sur la valorisation du patrimoine alors qu’il reste tant à faire. Construire encore et toujours pour satisfaire les besoins en logements. Une vraie problématique qui doit nous amener à réfléchir sur le devenir de notre société et de notre environnement. C’est une pression très forte.

Quid des du patrimoine du 20ème siècle ?
Effectivement. C’est un patrimoine très peu pris en compte alors qu’il y a des choses très intéressantes à forte valeur mémorielle : la case Tomi, la case Satec, de nombreux immeubles comme celui des remparts. Il y a tant à découvrir. 80% du patrimoine réunionnais a été construit dans les années 60. On a tendance à l’oublier. Il faut rester attentif et vigilant. Une réflexion menée dans les années 80 par le premier Architecte des Bâtiments de France à La Réunion Yves Augeard suivi par François Hennequé et Jean François Delcourt. On doit aussi à Clémence Préault le Label Architecture Remarquable pour son inventaire du patrimoine du 20ème siècle. On a vu disparaître un certain nombre de bâtiments traditionnels. Il y a eu une prise de conscience. Un réveil, un sursaut. Car si on est aujourd’hui toujours sur certains acquis, il est urgent de s’intéresser à la conservation du patrimoine du 20ème siècle.

Que nous réserve l’avenir ?
Je veux être optimiste. Car si aujourd’hui la tendance est de dupliquer des modèles balinais exotiques avec des éléments créoles, on perd notre identité. C’est ce que l’on appelle l’évolution. On assiste irrémédiablement à la merchandisation de l’architecture avec des modèles standardisés. Au risque de perdre notre âme créole pour satisfaire un intérêt touristique. Je garde espoir. Il faut communiquer à travers des expositions, des livres. Ce que j’ai aimé quand j’étais professeur, c’est transmettre. C’est ce que j’aimerais faires aujourd’hui. Laisser une trace pour mieux transmettre. C’est un travail de pédagogie essentiel et c’est en ce sens que mon travail de conservateur est primordial.

Interview Pierre Marchal
Photos Anakaopress

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